Fable (édito novembre 2020)
L’été, l’hiver et le jardinier.
Monsieur hiver d’habitude d’un abord un peu froid et tempétueux se faisait depuis quelques temps plus doux et chaleureux. Ce qui malgré tout ne l’empêchait pas de temps à autre d’être maussade et ombrageux. À cause des vents changeants que sa douceur engendrait il voyait ici et là inonder des plaines jusque-là épargnées et en d’autres lieux le soleil fondre neiges et glaciers. Lui qui aimait tant le blanc !
De l’autre côté monsieur de l’été qui ne croisait que très rarement monsieur hiver ne savait plus comment faire pour se rafraîchir un peu. Quand le soleil était au plus haut il suffoquait même, et son souffle chaud allait bien plus loin qu’à l’habitude transformer des contrées jusque-là verdoyantes. Il se rendait bien compte que tous ces changements provoquaient déjà des problèmes et des complications pour la nature et les humains mais que pouvait-il y faire? Il tentait même pour se refroidir un peu de se tremper les pieds aux abords de l’hiver, empêchant ainsi l’automne et le printemps d’annoncer le changement.
Le jardinier quant à lui était bien embêté par des hivers trop doux et des étés beaucoup trop chauds ! Il convoqua donc séance tenante les sieurs d’hiver et de l’été afin que de cette réunion chacun sorte gagnant. Le jardinier ne jugeant pas et acceptant sa modeste part de responsabilité demanda aux deux autres ce qu’il pouvait bien faire pour calmer leurs ardeurs…
Le premier à prendre la parole, de tempérament naturellement chaud fut bien entendu l’été : « Voyez-vous monsieur du jardin, le problème est que je me nourris de chaleur. Que voulez-vous c’est dans ma nature. Partout des arbres sont coupés et le Soleil brûlant rend mon souffle toujours plus chaud et plus fort » puis il ajouta : « pourtant là où sont les plus grandes forêts l’humidité m’apaise un peu, et je peux même m’y attarder pour libérer ma colère dans un orage violent ou une pluie bienfaitrice. »
« Merci pour votre sincérité, lui dit le jardinier. Mais alors pensez-vous que quelques arbres plantés dans un jardin pourraient vous apaiser ? ». Les deux autres compères se regardèrent. « Et bien, expliqua finalement l’été, je ne vous promets pas la pluie, néanmoins je connais quelques endroits en plein désert où des hommes et des femmes vivent dans des îlots de verdure. Ils y trouvent moyennant un peu d’eau un abri plus frais et une saine nourriture »
L’hiver lui, s’empressa de botter en touche, argumentant qu’il ne se souvient pas avoir jamais mis le nez dans un tel endroit.
« Mais bien sur s’exclama le jardinier ! J’ai dans mon jardin toute l’eau qu’il me faut mais malgré mes efforts, depuis quelques années la chaleur de l’été empêche tout de pousser. Mes légumes sont chétifs, quand ils ne sont pas morts, et même dans certains arbres les fruits sont desséchés. Cher monsieur de l’été, je vous remercie. Vous m’avez inspiré et sans plus attendre je vous conte mon idée. »
Les deux saisonniers pour la première fois réunis sur le même hémisphère, montraient leur impatience devant tant d’enthousiasme.
« Grace à vous j’ai compris que ce qu’il manque ici ce n’est pas tant la pluie qu’un ombrage réussi. Je vais donc travailler et créer des étages afin que du soleil mes légumes se protègent. Je vais planter des vignes, des kiwis des rosiers, des fruits de la passion et d’autres plantes grimpantes. Je les ferais monter sur des structures bien hautes diminuant de moitié la surface au soleil. Je suis prêt à parier que comme dans l’oasis, la température, sur le sol cultivé s’en trouvera surement légèrement diminuée. »
« Cela semble prometteur, acquiesça sieur d’été, mais ça ne saurait suffire à calmer mes ardeurs. La planète est bien grande et les jardins si petits ! »
« Vous avez bien raison, soupira le jardinier, mais bien d’autres que moi auront la même idée et ici je promets, à vous deux mes amis que je n’aurai de cesse à transmettre mon savoir. Car au delà du mien, je rêve d’un grand jardin qui serait planétaire, et où les humains seraient bien nourris et tous frères. »
Les trois compères de l’histoire se félicitèrent de cette belle rencontre et pour sceller ce nouvel espoir, trinquèrent à l’amitié d’un grand verre d’eau bien fraîche…
« Je suis fort heureux d’une telle décision sanglota l’hiver avant de repartir, car quel fut mon tourment quand de retour du sud j’ai vu dans les jardins, en octobre et novembre, lilas et cerisiers parsemés de belles fleurs ! J’avoue mon impuissance à rafraichir la terre mais je n’ai plus le temps de m’installer vraiment, je suis poussé du pied par le sieur de l’été. Ho ! Je ne vous en veux pas cher voisin d’infortune mais je me sent peiné de ne plus faire de glace ».
Bruno Morandeau
Histoire de semence
Vers une autonomie alimentaire
Novembre 2020